Compte-rendu du débat : Se loger en Haute-Savoie, la situation s'aggrave.

Le vendredi 24 mai 2024, la fédération du Parti communiste français de Haute-Savoie organisait à Annecy un débat sur le thème du logement dans le cadre des élections européennes. Retrouvez ci-dessous les différentes interventions des participants à ce débat.

 

Introduction aux débats d'Antoine Bimbeau
(membre du Conseil Départemental du PCF)

Une crise du logement nationale sans précédent

La crise du logement en France est d’une gravité extrême. Quelques chiffres permettent de s’en rendre compte. Actuellement nous comptons 140 000 personnes sans domicile, 900 000 personnes privées de la possibilité d’avoir un logement personnel et 4M de personnes non ou mal logées (par exemple logements insalubres ou bien trop petits en comparaison avec la taille du ménage).

Cette crise se ressent aussi directement sur l’effort financier demandé aux travailleurs. Dans les années 1980 le logement représentait environ 15% des dépenses des ménages, aujourd’hui la moyenne est à 30%. Et derrière cette moyenne se cache bien évidemment des inégalités très fortes. Parmi les travailleurs, ouvriers, employés, parmi les chômeurs, parmi les retraités c’est parfois bien davantage. Une fois le loyer et les factures d’énergie payés il ne reste déjà plus grand-chose.

En Haute-Savoie : une situation encore bien pire

Si la situation du logement en France est aujourd’hui catastrophique, elle l’est encore davantage dans notre département, la Haute-Savoie. Les prix des logements à la location comme à l’achat sont exorbitants.

Le prix moyen du m² en location dans le département est de 16€ ce qui nous place au niveau des départements de la grande couronne parisienne et tout en haut des départements de province. Ce qui fait aussi la particularité du département c’est que le coût du logement est exorbitant dans presque tout le département. Dans les autres départements de province les zones de vie chère sont souvent concentrées sur certains espaces (par exemple le littoral).

Une crise du logement aux causes politiques

Si l’accès au logement est aujourd’hui si cher et si compliqué c’est entièrement dû aux décisions politiques prises ces dernières années et dernières décennies. On voit là l’effet d’une politique de classe aux services des plus riches.

Les causes de cette crise sont multiples. On peut d’abord citer une spéculation immobilière et foncière sans précédent ces dernières années que les politiques laissent faire voire encouragent. Le manque chronique de logements sociaux vient d’un refus des différents gouvernements de lancer un plan massif de construction et de rénovation. En Haute-Savoie c’est 30 000 demandes en attente. Il faut aussi citer l’explosion du nombre de meublés touristiques type Airbnb (Annecy en est le triste exemple). Bien évidemment, la situation frontalière spécifique de la Haute-Savoie n’arrange rien pour le logement. Enfin, nous devons citer le rôle de la BCE et des taux bas qui ont favorisé la spéculation immobilière, l’envolée des prix et la concentration des biens dans les mains des plus riches.

Plutôt que de résoudre la crise du logement, le gouvernement s’en prend aux locataires

Lors de la prise de fonction de Gabriel Attal il n’y avait au départ pas de ministre du logement ce qui symbolise la priorité de la question pour le gouvernement. Ils ont ensuite nommé Guillaume Kasbarian et on en arrive à regretter qu’un ministre ait finalement été nommé. C’est l’auteur d’une première loi en 2023 (alors qu’il était député), qui s’attaque aux locataires les plus démunis en favorisant leur expulsion.

Plus récemment il a de nouveau fait parler de lui en annonçant la volonté gouvernementale de faire payer davantage les occupants des logements sociaux qui voient leurs revenus augmenter et d’aller jusqu’à leur expulsion.

Ces derniers jours, le ministre vient de mettre sur la table une nouvelle proposition qui, selon lui, permettra de résoudre le problème de l’accès au logement. Il propose en effet de réduire la durée entre deux donations exonérées parents/enfants de 15 ans à 10 ans et de porter l’abattement de 100k à 150k. De quoi faciliter encore un peu plus la concentration du patrimoine immobilier dans les mains de ceux qui n’ont pas de problèmes pour se loger. Alors que le gouvernement s’attaque à nos retraites, à l’assurance chômage, à la sécu… pour faire soi-disant des économies, le coût d’une telle mesure est chiffré à 2Mds d’euros par an.

La politique en matière de logement est un très bon révélateur de la politique de classe menée par le duo Macron/Attal. Plutôt que de construire des logements sociaux, virons ceux qui les occupent. Plutôt que de permettre l’accès de tous à une habitation digne, aidons encore un peu plus les plus fortunés.

Intervention d'Eddie Jacquemart
(président de la principale association de locataires et consommateurs, membre du PCF et candidat aux élections européennes)

Présentation et engagement

Il est important que le PCF saisisse cette question du logement qui est aussi importante que celle du travail car elles sont liées : pas de logement pas de travail et inversement. S’ajoute à cela la question des transports. Il y a donc un triptyque central sur lequel nous devons nous mobiliser : le logement, le travail et le transport.

Je suis le président national de la principale association de défense des locataires et consommateurs ainsi que militant au PCF. Dans les deux cas cela représente un engagement concret. Je suis issu de la fédération du nord puis j’ai pris la tête de l’association en 2013. Je suis aussi conseiller municipal à Lille avec la majorité socialiste où je m’occupe de l’éducation populaire. Je suis d’origine dunkerquoise et très rapidement j’ai vécu en HLM ce qui a représenté un vrai refuge dans mon enfance. Quand j’ai ensuite commencé à travailler sur Lille j’ai été très heureux de pouvoir avoir un logement HLM pour commencer mon travail.

Actuellement je suis candidat sur la liste du parti pour les européennes car je pense qu’il faut aller dans les quartiers populaires pour qu’on parle aux gens afin de leur expliquer que la politique ce n’est pas quelque chose de sale. La politique ça organise leur quotidien, ça organise leur vie. Il est clair que si on ne s’occupe pas de la politique, c’est la politique qui va s’occuper de nous.

Histoire du logement social et de sa crise actuelle

Concernant la crise du logement actuelle elle vient de loin. En 1977, Raymond Barre change totalement de paradigme concernant la politique du logement. Il attaque frontalement l’aide à la pierre pour aller vers une politique prenant en compte la situation des personnes. On passe donc d’une situation où l’Etat finançait la construction, permettant ainsi à tout le monde d’avoir accès à des logements peu chers, à une situation où les logements sont chers mais avec des aides personnalisées (type APL) versées à certaines personnes sous certaines conditions.

Avec le choc pétrolier, le chômage va monter en flèche et cette politique d’aides personnalisées va se mettre à coûter cher à l’Etat. De plus, les APL vont avoir pour effet d’entraîner une inflation des loyers. En effet, dans le parc privé les propriétaires vont augmenter les prix au prétexte que les locataires perçoivent les APL.

En 2000, une bonne loi est adoptée, c’est la loi SRU-Gayssot qui prévoit une obligation de construction de logements sociaux dans les villes avec en cas de non-respect une amende. Cette loi permet ainsi un vrai développement du logement social. Cependant, depuis des années maintenant tout le monde essaie de détricoter cette loi.

Un peu plus tard Sarkozy nomme Christine Boutin comme ministre du logement. En 2009, afin de régler les problèmes de liste d’attente en logements sociaux, la ministre décide d’abaisser les plafonds d’accès au logement social de 10%. Cela débouche alors sur une paupérisation des habitants du parc social et on voit les effets aujourd’hui.

Les attaques de Macron contre le logement social

La crise actuelle du logement vient donc de très loin. Macron est un libéral et quand il a vu que le montant total des logements sociaux administrés représentait 20Mds d’euros ce n’était pas possible pour lui. Ainsi, juste après son élection, en juillet 2017 il annonce la chasse aux pauvres en prenant 5€ d’APL à tous les allocataires. En septembre 2017, il annonce la mise en place de la Réduction de Loyer de Solidarité (RSL). Le principe est simple, pour tous les logements sociaux, l’Etat demande aux bailleurs de baisser de 50€ les loyers et baissent en contrepartie de 50€ l’APL. En bref, ils font financer une partie de l’APL par les bailleurs sociaux. Au final ils ponctionnent ainsi 1,3Mds d’euros tous les ans dans les caisses ders bailleurs sociaux. L’objectif est de viser en priorité les bailleurs les plus sociaux, c’est-à-dire les offices publics, donc le service public du logement. Aujourd’hui cela fait donc 10Mds d’euros de ponction dans les caisses des bailleurs sociaux. On aurait pu construire et rénover beaucoup de logements avec tout cet argent.

Macron et son gouvernement ont une stratégie qui est de revenir 40 ans en arrière et de faire du thatchérisme. Pour cela on assèche les bailleurs sociaux, on les fusionne et on les oblige à vendre des logements sociaux (vente de 40 000 logements sociaux par an). Puisque l’aide à la pierre n’existe presque plus, ça ne coute plus rien à l’Etat. Avec la loi ELAN on est donc en train de brader notre parc social et de le pousser vers la privatisation.

Avec le ministre Kasbarian, une nouvelle étape est franchie

Avec Kasbarian on a eu une première loi dite « anti squatteurs » qui est en fait une loi qui organise le recul des droits des locataires. Si un locataire est en place mais ne paye plus, désormais le bail est d’office résilié. Il devient donc directement un squatteur alors que ce n’est en rien un squatteur. Désormais, si une association ou un parti vient en aide à ce locataire, nous pouvons être considérés comme complices d’un délit et donc être sanctionnés. Ce qui est inimaginable, c’est que Macron décide ensuite de le nommer ministre du logement. Personne ne s’y attendait.

Nous avons désormais sur la table le projet de loi Kasbarian II. Il n’est pas encore voté, il va donc falloir se mobiliser. Dans ce texte il considère que dans les logements sociaux en France il y a 8% des occupants qui sont au-dessus des plafonds. C’est en fait tout à fait normal car les plafonds sont très bas (en lien avec la loi Boutin) donc si on a une augmentation de salaire on passe directement au-dessus. Ce n’est en rien un problème, c’est la mixité sociale. Kasbarian explique donc qu’on va virer les « riches » des HLM ainsi que ceux qui auraient des maisons secondaires. Donc c’est vraiment une sorte de police qui va regarder ce qu’on possède, c’est une chasse aux pauvres.

Dans les 8% qui dépassent les plafonds, il n’y a actuellement que 3% qui payent le surloyer (à partir du moment où on perçoit plus de 120% du plafond). Le ministre propose donc aussi d’appliquer le surloyer dès le premier euro de dépassement. Et il veut ensuite les mettre dehors. Au lieu de construire du logement social, il veut résoudre une partie de la liste d’attente en virant les gens des HLM.

Le logement en France est aussi lié aux décisions européennes

Toutes ces questions sont influencées par l’Europe. Aux Pays-Bas et en Suède ils avaient une politique importante au niveau du logement social, ils en avaient beaucoup et il n’y avait pas de plafonds pour y entrer. L’Europe a dit que ce n’était pas possible car cela fausse la concurrence avec le privé puisque le public accueillait des gens qui pourraient se loger dans le privé. C’est à ce motif que l’UE a imposé de mettre des plafonds pour entrer dans le logement social aux Pays-Bas et à la Suède.

La France a aussi été impactée. Les propriétaires privés, rassemblés dans l’UNPI, se sont mobilisés pour dénoncer le fait que dans les HLM il y a des gens qui pourraient être logés dans le privé (les 8% dépassant le plafond). Ils ont donc été à Bruxelles et ont porté plainte pour que ça cesse car ça ne respecte pas la libre concurrence. La plainte date d’il y a 10 ans et elle n’a encore jamais été instruite.

Cependant, quand nous avons eu un soi-disant gouvernement de « gauche » avec Hollande, des associations de locataires ont été voir le gouvernement pour lui demander de revenir sur les décisions prises sous Sarkozy. Ils ont alors refusé au motif que si le gouvernement faisait cela, l’Europe allait ressortir la plainte déposée par les propriétaires privés.

Finalement la loi Kasbarian s’inscrit bien dans ce que demande l’Europe. D’un point de vue technique ils veulent revenir à ce qu’on appelle un « logement social résiduel ». Il existe trois conceptions du logement social : un « logement social universaliste » (ouvert à tous sur le modèle des Pays-Bas ou de la Suède), un « logement social généraliste » (sur le modèle français, ouvert sous conditions) et un « logement social résiduel » (très peu de logements et ouverts uniquement aux plus pauvres, sur le modèle anglais). L’Europe pousse pour qu’on aille vers ce dernier qui est la logique la plus libérale. De plus, avec la règle d’or de 3% maximum de déficit, l’Europe surveille les comptabilités des organismes de logements sociaux au motif qu’ils ne doivent pas être trop financés car cela fausserait la concurrence. Bref, même si l’Europe n’a pas de prérogative directement sur le logement, elle vient casser le logement social français.

Intervention de Gil Thomas
(maire de la commune de Cervens)

Je suis maire de Cervens depuis 2008. Cette commune a une longue tradition communiste même si ne suis pas personnellement encarté au PCF, je reste fidèle à ses convictions. Je suis présent ce soir pour vous témoigner des difficultés d’un maire qui a la volonté de construire du logement social et qui veut développer la mixité sociale dans sa commune.

Un des problèmes particuliers de la Haute-Savoie au niveau du logement c’est le prix du foncier. Il est corrélé à notre situation transfrontalière qui tend le marché et le fait grimper. Aujourd’hui, dans ma commune, si je veux arriver à attirer un bailleur social on me demande de donner le terrain ainsi que de l’argent public en plus. C’est tout simplement impossible.

Dès ma prise de fonction, nous avons souhaité poursuivre cette politique du logement social que je préfère dénommer logement aidé même si ce n'est que de la rhétorique, les mots ont leur importance, surtout pour convaincre la population. Construire seulement 16 logements soulève des oppositions chez certains concitoyens qui pensent que cela créera divers problèmes dans le village.

En 2013 j’apprends qu’un terrain se vend à un prix relativement bas par rapport au marché à un promoteur. Le jour même de la réception en mairie de la déclaration d'intention d’aliéner (DIA), je lis une publicité dans Le Messager où les prix de vente des appartements sont délirants. Je décide donc de proposer à mon conseil de préempter via l'établissement public foncier de Haute-Savoie (EPF74). Dès lors, la mairie a 4 ans pour trouver un bailleur social. Je contacte Léman Habitat qui refuse car ils demandent que je leur donne le terrain et de l’argent. Après de multiple péripétie, les travaux ne vont finalement commencer qu’en octobre 2024. Nous avons donc mis plus de 10 ans pour y arriver. Nous sommes passés par un autre bailleur, mais sur les 18 logements prévus en locatif aidé il n’y en aura que 8, les 10 autres seront vendus en libre au prix du marché pour équilibrer l'opération.

Nous avons un prix du foncier extrêmement cher ici. Le coût de construction pour un bailleur ne doit pas dépasser les 2 500€ le m² environ alors que dans le privé on est dans les 3 500. Bref, avec le prix du foncier c’est presque impossible de sortir du logement social à Cervens en zone classée B2 par l'état même si nous le voulons. Ce classement provient de l’article D304-1 du code de la construction et de l’habitation où le zonage conventionnellement appelé ABC effectue un « classement des communes du territoire national en zones géographiques en fonction du déséquilibre entre l'offre et de la demande de logements ». Par ordre décroissant de tension, les zones géographiques sont : Abis, A, B1, B2 et C.

Dans le Chablais nous manquons cruellement d’une offre de logements sociaux. Nous n'arrivons pas à faire venir des bailleurs. Dans une commune avoisinante récemment soumise à la loi Solidarité et renouvellement urbain dite SRU, il y a un retard énorme avec seulement 8% de logement social dans la commune alors qu’ils doivent passer à 25%. La population de celle-ci acceptera difficilement car pour atteindre ce taux il faudrait faire des grosses opérations à 100% de logement social. Cela pose un problème de concentration des populations d’un même milieu social.

Tout cela pour dire que même avec une conviction politique forte pour développer le logement social, il est très difficile de le réaliser en Haute-Savoie.

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